En Côte d'Ivoire, onze condamnations à la prison à perpétuité au procès de l'attentat de Grand-Bassam

  • publiè le : 2022-12-29 09:32:57
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En Côte d'Ivoire, onze condamnations à la prison à perpétuité au procès de l'attentat de Grand-Bassam
En l'absence des « cerveaux » de l'attaque, en fuite ou incarcérés au Mali, les quatre accusés présents au tribunal ont été jugés complices de l'assaut qui avait fait 19 morts dans la station balnéaire, en mars 2016.

Par Marine Jeannin(Abidjan, correspondance)
Publié hier à 18h22, mis à jour à 07h15

Le verdict est tombé en début d'après-midi, mercredi 28 décembre, point final d'un procès long de cinq semaines pour juger le premier attentat terroriste perpétré en Côte d'Ivoire, le 13 mars 2016, dans la station balnéaire de Grand-Bassam, voisine d'Abidjan. Ce sera la perpétuité pour 11 des 18 accusés, parmi lesquels sept absents condamnés par contumace et les quatre hommes présents au tribunal criminel d'Abidjan : Hantao Ag Mohamed Cissé, Sidi Mohamed Kounta, Mohamed Cissé et Hassan Barry.

Ces derniers étaient accusés d'avoir été complices de cette attaque dans laquelle 19 personnes sont mortes (dont neuf Ivoiriens et quatre Français) en aidant ceux présentés comme les « cerveaux » de l'opération pour l'hébergement, le transport ou le repérage des lieux de l'attentat. Bien que tous aient obstinément nié avoir eu connaissance du projet d'attentat durant l'instruction, la cour les a reconnus « coupables des faits qui leur sont reprochés et les condamne à l'emprisonnement à vie », a déclaré le juge Charles Bini.

Le tribunal a suivi le réquisitoire du procureur de la République, Richard Adou, qui avait demandé la perpétuité il y a une semaine. Les plaidoiries, qui ont débuté le 30 novembre, se sont achevées le 21 décembre par l'audition du général de brigade Ali Badara, qui était intervenu en 2016 à la tête de l'Unité d'intervention de la gendarmerie nationale. Il était le dernier d'une longue série de 19 récits, tous similaires, de la tempête de balles et de sang qui avait frappé la station balnéaire de Grand-Bassam.

« C'est nous tous qu'ils ont tués »
Après la déposition du général Badara, les parties civiles avaient choisi pour les représenter un avocat musulman, Me Amadou Camara. « Pour la première fois, s'est-il écrié, on tuait au nom de la religion en Côte d'Ivoire ! On tuait au nom de la remise en cause du modèle de société que nous avons choisi ! Des individus ôtaient la vie à leurs semblables au nom d'une prétendue idéologie ! » Lisant des versets du Coran pour appuyer sa plaidoirie, il a rappelé qu'« il n'y a pas de contrainte en religion, il n'y a pas de contrainte à l'islam ». Et de citer la sourate 5, verset 32 : « "Celui qui ôte la vie à un être humain innocent, c'est comme s'il ôtait la vie à toute l'humanité". En faisant ce qu'ils ont fait, c'est nous tous qu'ils ont tués. »

Le procureur Richard Adou s'est montré tout aussi éloquent. Au cours d'un réquisitoire de deux heures mené debout et sans interruption, il a énuméré une à une les 19 victimes de l'attentat, « des personnes qui avaient une vie, une famille, des amis et qui, malheureusement, ont commis l'erreur de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment, devant les mauvaises personnes et du mauvais côté du canon ». Pour sanctionner ces « actes de barbarie avec leur cortège de chagrins, de révoltes et d'interrogations », il a demandé la perpétuité, « une peine exemplaire et dissuasive », pour six des organisateurs de l'attaque et les quatre accusés présents à l'audience. « Malgré leurs visages d'anges à la barre de votre tribunal, ils les ont assistés en connaissance de cause en participant à la mise en oeuvre d'un projet commun, s'est-il exclamé. Exterminer par armes de guerre les êtres humains qui se trouvaient dans cette station balnéaire. »

Après la plaidoirie laborieuse du premier des avocats commis d'office, Me Prosper Degré Kouassi, c'est sur la présomption d'innocence que Me Eric Saki a choisi, le lendemain, d'orienter son discours. « Nos clients n'ont pas été présentés comme de présumés innocents, a-t-il tonné dans un envol de robe noire et de fourrure blanche, mais comme de présumés terroristes. » Pointant le manque d'éléments « clairs et tangibles » à charge, il a demandé « par quelle alchimie les accusés ici présents pourraient être rattachés » à la préparation de l'attentat. Les quatre hommes, a-t-il dénoncé, constituent des « boucs émissaires idéaux », destinés à « payer à la place des autres pour faire un exemple ». Les condamner à la perpétuité requise par le procureur serait une injustice, a-t-il estimé : « Nous voulons que ceux qui ont commis ces atrocités paient, mais pas à n'importe quel prix. »

Un délai de vingt jours pour faire appel
Pour chacun des quatre accusés, Me Saki a demandé l'abandon de toutes les charges. Mohamed Cissé a reconnu une proximité avec Kounta Dallah (suspecté d'être l'un des organisateurs de l'affaire), mais jamais une complicité, a-t-il pointé, et aucune preuve de celle-ci n'a été donnée. Hassan Barry est accusé d'avoir convoyé les armes ayant servi à l'attaque de l'hôtel Radisson Blu à Bamako, en 2015, alors même que le Malien Alou Doumbouya, arrêté dans la capitale malienne, avait déjà reconnu les mêmes faits. « Je me demande combien il y a eu de chauffeurs ayant conduit les armes du Mali à Abidjan ? », a fait mine de s'interroger l'avocat. En ce qui concerne Hantao Ag Mohamed Cissé, aucune preuve non plus n'a été trouvée pour sa complicité. Sidi Mohamed Kounta, enfin, n'était « que l'homonyme de Kounta Dallah, sans partager sa criminalité ». Pour eux, Me Saki requérait « l'acquittement pur et simple ».

En vain. Une semaine plus tard, le président, inflexible, n'a acquitté que sept absents. Et les quatre accusés présents, déjà emprisonnés depuis six ans, ont été renvoyés derrière les barreaux. A l'issue de l'audience, Me Saki a estimé que « le tribunal aurait dû aller jusqu'au bout de sa démarche » et prononcer l'acquittement. « Nous en prenons acte, mais nous ne désespérons pas, a-t-il poursuivi. Des voies de recours existent. Le chemin est encore long. » La défense dispose d'un délai de vingt jours pour faire appel.

Les parties civiles n'exultent pas pour autant. A la sortie du tribunal, Odile Koko Kouamenan, la mère d'un témoin de l'attaque qui en est resté traumatisé, estime que « le verdict est mérité ». De même que le propriétaire de la Nouvelle Paillote, témoin clé de l'attentat, qui avait aidé ses clients à se cacher des djihadistes et avait porté secours aux blessés. Il a sobrement déclaré que « c'est bien d'arriver au bout, pour moi et surtout pour les familles ». Avec une ultime frustration : l'absence des « cerveaux » de l'attaque, en fuite ou incarcérés au Mali.

Marine Jeannin (Abidjan, correspondance)
source : lemonde.fr

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