Fondateur du Congrès pour la Consolidation de la République et le Développement (Concorde), Alcide Djédjé se prononce sur l'actualité politique en Côte d'Ivoire dans cette interview.
On vous a connu proche de Laurent Gbagbo dont vous avez été le ministre des Affaires étrangères. On vous a aussi connu comme un proche collaborateur de Pascal Affi N'guessan, actuel président du FPI, au lendemain de la crise post-électorale. Pourquoi avez-vous lancé un parti politique appelé Concorde ?
Vous me donnez l'occasion de revenir sur les raisons qui m'ont conduit à créer Concorde (le Congrès pour la Consolidation de la République et le Développement), raisons qui sont contenues dans le manifeste du parti. Ce parti qui, en une année d'existence, est devenu une plateforme de réflexion, d'engagement et de franchissement de pas incroyables pour bon nombre d'Ivoiriens et de non Ivoiriens. Ce bilan constitue un réel motif de fierté pour moi-même et pour tous ceux qui m'ont encouragé et qui ont participé à la création du parti. Je voudrais saisir l'opportunité que vous m'offrez pour dire un grand merci à tous et à toutes. Grand merci pour leur foi et leur courage.
Ceci étant, vous dites que vous m'avez connu comme diplomate de carrière, conseiller diplomatique du Président Gbagbo, ambassadeur de Côte d'Ivoire auprès des Nations unies à New York, négociateur de l'Accord de paix inter-ivoirien dit "Accord de Ouagadougou'' et ministre des Affaires étrangères du Président Gbagbo, pendant les cinq mois les plus difficiles de l'histoire de la Côte d'Ivoire, de décembre 2010 à avril 2011 au cours desquels nous avons vécu l'épicentre de la dizaine d'années de crise en Côte d'Ivoire. Ayant traversé cette période à ce niveau de responsabilité et voyant resurgir les mêmes spectres et les mêmes relents qui nous ont conduits à la crise, et sachant par ailleurs en tant que diplomate que si mon pays rechute, il ne bénéficiera pas des mêmes attentions pour qu'il se relève, j'ai décidé de prendre de la hauteur en agissant en amont pour consolider la République, par la création d'un parti tampon adossé au Rhdp. Le Rhdp est en effet la plateforme la plus solide et la plus crédible aujourd'hui en Côte d'Ivoire pour maintenir et consolider la paix dans notre pays grâce à la grande sagesse et au leadership du Président Alassane Ouattara reconnus par la très grande majorité des Ivoiriens et par toute la communauté internationale.
Comment se porte et se comporte votre nouveau parti un an après sa création et quelle est sa place au sein du Rhdp ?
Concorde se porte et se comporte très bien, un an après sa création. Notre parti est représenté dans toutes les régions et tous les départements administratifs de la Côte d'Ivoire et y prend part à toutes les activités du Rhdp. Je viens d'ailleurs ce samedi 24 août d'avoir une importante séance de travail avec les représentants de toutes les régions de la Côte d'Ivoire, à l'occasion du premier anniversaire de la création du parti. Notre bilan est positif. Le parti est certes nouveau, mais comprend des hommes et des femmes d'expériences qui viennent d'horizons divers, notamment du FPI et de la galaxie patriotique mais également d'autres partis. Nous avons, dès notre création en août 2018, pris part aux côtés du Rhdp à la campagne pour les élections locales (municipales et régionales), sans présenter de candidats parce que les délais de dépôt de candidatures avaient déjà expiré. Nous comptons cependant dans nos rangs quelques élus. Il s'agit de candidats indépendants au moment des élections qui, ayant été élus, ont rejoint le Rhdp par notre canal. Nous jouons bien ce rôle tampon pour renforcer le Rhdp en servant de canal et de biais pour injecter du sang nouveau au Rhdp, conformément à notre objectif principal qui est de parvenir à une union sacrée de la classe politique après nos divisions extrêmes qui ont conduit à la guerre civile. Nous sommes au pied du mur et nous n'allons pas nous arrêter. Au sein du Rhdp, nous avons la place qui nous revient et notre intégration se poursuit. Nous sommes membres de la plupart des instances. Le Conseil politique, le Bureau politique et le Conseil national. Le Rhdp est notre parti et nous partageons pleinement la vision de notre Président, le Président Alassane Ouattara dont le projet de cohésion nationale et de développement économique et social n'a pas d'égal dans tout ce qui a été réalisé après le Président Houphouët-Boigny. C'est en cela qu'il est son digne et fidèle successeur, par la politique qu'il mène tant sur le plan interne, sous régional, régional qu'international. Cette politique nous attire les investissements nécessaires au relèvement et à la poursuite du développement de notre pays à un tel rythme que nous sommes en passe de connaître un deuxième miracle ivoirien après le premier sous l'ère Houphouët-Boigny.
Certains militants du Fpi parlent de trahison. Quel est votre commentaire ?
En tant qu'observateur avisé de la vie politique en Côte d'Ivoire, je vous demande de mettre votre lexique à jour. On ne parle plus de "trahison'' pour désigner les changements d'alliance. On parle désormais de "plateforme'' non idéologique (rires). Trêve de plaisanterie. J'aurais pu continuer à en rire et m'en moquer s'il ne s'agissait pas de la part de ces personnes d'attitudes qui ont des conséquences graves sur le destin de la Côte d'Ivoire. Mais, je crois que plus personne ne parle sérieusement de "trahison'', étant donné que ceux qui en parlaient se sont rendu compte de leur ignorance des réalités politiques de la Côte d'Ivoire ou ont décidé de ne plus être de mauvaise foi. J'aurais trahi qui ? Je suis parmi les anciens collaborateurs du président Laurent Gbagbo, un de ceux qui peuvent le regarder droit dans les yeux sans jamais, je vous dis bien jamais, baisser la tête. Laurent Gbagbo ne vous dira jamais que je l'ai trahi en quoi que ce soit. Il sait ce qu'on s'est dit et mes positions actuelles ne sont en aucune façon contraire à un devoir de loyauté dont je me serais écarté. Je n'en dirai pas plus.
Comment expliquez-vous qu'alors que vous êtes proche de l'ancien Président Laurent Gbagbo, vous soyez membre de la majorité Rhdp ?
Avant le Rhdp, vous vous souvenez peut-être d'une coalition dans les années 1995 qui s'appelait le Front républicain dans laquelle le président Gbagbo était lui-même proche du Président Ouattara. Pendant la crise post-électorale, le président Bédié s'est rapproché du Président Ouattara avant de s'en éloigner et de se rapprocher récemment du président Gbagbo. Le ministre Guikahué a signé un accord avec le Cojep, alors que le Cojep et le Pdci-Rda n'avaient jamais été proches, etc. Les exemples de rapprochement et d'éloignement sont légion en politique et pas seulement en Côte d'Ivoire, mais dans le monde entier et tout au long de l'histoire des nations. Le Général De Gaulle et le Parti communiste français se sont rapprochés à la libération de la France avant de se séparer. La lutte commune contre Hitler les avait rapprochés avant que l'enjeu idéologique de la guerre froide ne les sépare. Le cours de l'histoire et les évènements qui jonchent l'histoire des nations font prendre position aux acteurs politiques et amènent les uns et les autres à se retrouver côte-à-côte ou face-à-face et à prendre tout simplement acte, parce que leurs analyses des conjonctures et des péripéties se sont rejointes ou ont divergé à un moment donné de l'histoire.
Pour revenir à mon propre cas, tout est parti du traumatisme de la guerre et d'une très forte quête de paix et de cohésion pour la Côte d'Ivoire, comme je l'ai indiqué dans le manifeste de Concorde. Pourquoi le Rhdp ? Parce que la recherche de tout idéal est portée par un leader et dans le cas du Rhdp, le leadership et la force de travail du Président Ouattara m'ont fortement impressionné, notamment au cours des recherches de solutions à la crise ivoirienne. Il a su amener la communauté internationale à faire bloc pour sortir la Côte d'Ivoire de l'impasse. J'ai donc tout naturellement choisi de travailler sous sa coupe pour bénéficier de son immense expérience qu'il met d'ailleurs actuellement si bien à la disposition de la Côte d'Ivoire qui en récolte abondamment les fruits en termes de cohésion et de développement. Cohésion et développement qui constituent les idéaux de Concorde.
Pensez-vous que l'ère des barrières idéologiques est désormais révolue ?
Si vous entendez par barrières idéologiques les clivages gauche, droite, centre, on peut effectivement avancer que ces barrières sont de moins en moins déterminantes dans la conception des politiques publiques, compte tenu de la réduction des marges de manoeuvre des gouvernements. Les gouvernements sont de façon générale plus encadrés notamment par les institutions de Bretton Woods et par certains autres engagements internationaux, régionaux et sous-régionaux. Les gouvernements sont amenés à être plus inventifs et plus pragmatiques, moins enfermés dans des considérations idéologiques, pour relever les défis auxquels ils font face dans leur gouvernance et dans la mise en oeuvre de leurs programmes. Mais puisque nous parlons d'idéologie, permettez-moi de revenir sur ce qui importe le plus pour moi. Pour moi, les élites africaines sont bien sûr libres de prendre part à tous les débats d'ordre idéologique ou sociétal du moment, mais ce qui est obsessionnel pour moi et qui constitue à mon sens le défi majeur auquel il faut faire face, c'est la question du retard dans le développement économique et social des pays africains. Dans la majorité des cas, les progrès réalisés sont anéantis par des crises à répétition et des problèmes de sécurité. Les élans amorcés pour les décollages économiques sont contrariés et freinés par des guerres ou par le terrorisme. En examinant de près les origines de ces crises, l'on se rend compte des implications des élites. Voilà pourquoi, je dis et je répète que la richesse et la prospérité de nos Etats dépendent de la sagesse des élites. Le vrai débat au-delà des clivages gauche, droite, centre que nous devons avoir en Afrique et qui doit sans cesse nous interpeller, c'est la question de notre propre prise de conscience, de notre propre introspection, pour avoir ce que j'appellerai volontiers les débats utiles qui nous conduiront à plus de sagesse pour éviter le triste spectacle de nos jeunes qui se noient dans la Méditerranée en voulant gagner l'Europe. Offrons-leur le développement, encourageons les responsables comme le Président Alassane Ouattara qui met toute son énergie dans la recherche de solutions pour les jeunes en vue de leur sédentarisation sur place en Côte d'Ivoire.
Vous avez été coiffé au poteau aux élections législatives dernières dans votre circonscription de Ouragahio/Bayota. Continuez-vous depuis lors vos investissements et vos soutiens aux populations ?
Oui, bien sûr ! Mes investissements et mes soutiens aux populations continuent et ne s'arrêteront pas. Lorsque j'ai commencé à investir dans cette circonscription, il y a une quinzaine d'années, je n'étais candidat à aucune élection. Je vous ai dit tout à l'heure que les questions de développement constituaient pour moi un sujet obsessionnel et j'ai toujours essayé dans les limites de mes possibilités d'aider à améliorer l'environnement de vie des parents vivant en zone rurale. Il s'agit beaucoup plus d'une démarche citoyenne que d'autre chose.
Une plateforme de partis de l'opposition conduite par Henri Konan Bédié, dans laquelle l'on pourrait retrouver votre ancien patron Laurent Gbagbo est en train de se créer. Pensez-vous qu'elle pourra tenir tête au Rhdp ?
Non, cette plateforme en voie de formation est encore un embryon comme vous l'avez vous-même indiqué. Il faut d'abord qu'elle se forme et on avisera. Mais pour ce que je sais, ceux qui ont été contactés pour former cette coalition sont très réticents et le projet aura du mal à constituer une alternative sérieuse pour concurrencer le Rhdp. Il s'agit de petits bouts du Pdci-Rda et d'autres petits bouts du Fpi déjà désintégrés à la base, qui ne forment pas un bloc compact capable de jouer un rôle important sur la scène politique ivoirienne. Et sans vouloir faire de moral à qui que ce soit, je pense que les uns et les autres gagneraient plus à avoir une démarche plus constructive plutôt que de demeurer dans une posture de revanche et d'amertume. Les populations ivoiriennes ont tiré les leçons de la guerre et ne se laisseront pas entraîner dans d'autres aventures stériles dont elles sortiront perdantes.
Des partis de l'opposition refusent la recomposition de la Commission électorale indépendante. Comment jugez-vous leur attitude ?
Au moment où je vous parle, je crois que seul le Pdci-Rda hésite encore à accepter la recomposition de la Cei. 14 membres sur 15 ont été désignés, y compris les représentants de l'Apdh et du Fpi. Je crois savoir qu'un consensus a donc été trouvé et la Cei rééquilibrée va se mettre rapidement au travail après la prestation de serment de ses membres qui devrait avoir lieu dans les jours à venir.
Récemment, le directeur exécutif du Rhdp Adama Bictogo disait que Blé Goudé a sa place en Côte d'Ivoire. Diriez-vous qu'il a aussi sa place au Rhdp ?
Chaque Ivoirien est le bienvenu au Rhdp. La porte du Rhdp est ouverte à tous, elle n'est fermée à personne. Avec le temps, tout peut arriver.
Certains ivoiriens ont des appréhensions relativement à la présidentielle de 2020. Ils craignent notamment des troubles pré ou post-électoraux. Quel est votre sentiment sur la question ?
Je ne vois pas pourquoi il y aurait des troubles pré ou post-électoraux. Le contexte de 2020 est totalement différent de celui de 2010. En 2010, le pays était en crise depuis 2002. Une grave crise est survenue et s'est muée en guerre civile qui a entraîné l'intervention de la communauté internationale, y compris dans sa composante militaire, les Casques bleus des Nations unies. Le fonctionnement normal des institutions a été interrompu puisqu'une transition avait été installée par différents accords et résolutions des Nations unies qui ont fait l'économie des élections de 2005 organisées finalement en 2010 à un moment où la crise couvait encore. La résultante en a été une crise post-électorale facilitée par la présence de forces militaires diverses et antagoniques. La crise a été jugulée et a connu son épilogue en 2011. En 2015 et 2016, ce que je considère comme des élections tests ont eu lieu et se sont bien déroulées. La communauté internationale ayant constaté la stabilisation définitive du pays a ordonné le retrait de l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire, qui a cessé sa mission fin juin 2017. Dans la foulée, le 2 juin 2017, la Côte d'Ivoire a été élue comme membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies pour faire bénéficier à la communauté internationale son expérience de pays ayant réussi à surmonter une guerre civile et devenir en un temps record prospère avec un taux de croissance d'environ 9% chaque année. C'est dans le contexte de cette "success story'' que les élections de 2020 auront lieu. C'est un contexte d'une Côte d'Ivoire ayant renoué avec la stabilité. Je me demande donc d'où viennent ces prétendues craintes et appréhensions au sujet des élections de 2020. 2010 et 2020, je le répète, sont deux contextes totalement différents et je n'ai absolument aucune appréhension pour 2020.
Quel jugement vos interlocuteurs étrangers portent sur notre pays, sur le plan économique et politique ?
Le jugement des interlocuteurs étrangers a pour baromètre le niveau d'investissements de leur pays. Je peux vous assurer d'une foison d'investissements en provenance aussi bien de partenaires traditionnels que de pays moins bien implantés en Afrique. Au cours des échanges que nous avons, il n'est généralement pas fait cas de doute concernant le futur politique de la Côte d'Ivoire qui est crédité, il faut le reconnaître et s'en féliciter, d'un très bon profil.
La Côte d'Ivoire s'est aujourd'hui repositionnée dans le concert des Nations. Au point de devenir incontournable sur toutes les questions touchant le continent. Comment le diplomate que vous êtes l'explique-t-il ?
Le diplomate que je suis reconnaît que le repositionnement de la Côte d'Ivoire dans le concert des Nations doit être mis à l'actif du Président Alassane Ouattara. Je vous ai dit tout à l'heure que j'ai été fortement impressionné au cours des négociations des accords de paix inter-ivoiriens par sa grande force de travail et son leadership qui ont amené la communauté internationale à sortir notre pays de l'impasse. Eh bien, après le dénouement de la crise, il a continué ses efforts et a notamment réussi la reconstruction économique et sociale de la Côte d'Ivoire. La puissance diplomatique étant conditionnée par la puissance économique, vous avez l'explication de ce retour fulgurant de notre pays dans le concert des Nations avec notamment cette élection en juin 2017 au Conseil de sécurité des Nations unies comme membre non permanent. Il s'agit tout simplement de l'un des repositionnements les plus rapides dans le concert des Nations après une crise de l'ampleur de celle qu'a connue la Côte d'Ivoire. Vous pouvez aimer ou ne pas aimer le Président Ouattara, mais si vous êtes honnête et objectif, vous devez reconnaître qu'il jouit d'un leadership énorme sur le plan international et le diplomate que je suis, peut vous affirmer que le Président Ouattara a pesé pour au moins 95% dans le repositionnement éblouissant de la Côte d'Ivoire sur le plan international. A vrai dire, il donne aujourd'hui à la Côte d'Ivoire sur le plan économique et diplomatique, le meilleur statut depuis les années de gloire du Président Houphouët-Boigny.
source : Fratmat.info | auteur : Amédée Assi