Lièvre-Badou Assamoi Rose : '' Comment je suis devenue député en Suisse ''

  • publiè le : 2017-10-02 03:40:09
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Lièvre-Badou Assamoi Rose : '' Comment je suis devenue député en Suisse ''

(Photo d'archives pour illustrer l'article)

Mme Liève née Badou Assamoi Rose, native de Koun-Fao, députée en Suisse, nous a reçus chez elle à Yopougon où elle a séjourné pour les vacances.

Elle nous a notamment parlé de son Ong, Salubrité Plus.

C'est ici que Madame la députée habite ?

Oui, mais la sonnerie ne marche pas...

Qu'à cela ne tienne ! L'absence de sonnerie dans une maison n'a jamais posé problème. Le traditionnel "koko'' fonctionne bien. On tape donc à la porte. Une dame de taille moyenne, en tenue de ménage, ouvre.

Madame la députée est là ?

Entrez. Je suis madame la députée. Elle nous installe et fonce à la cuisine chercher des verres à boire.

S'il vous plaît madame, on peut vous suivre ?

Venez si ça ne vous gêne pas. Tout est en vrac ici. Je viens d'arriver et rien n'est encore rangé. La débauche d'énergie fascine. La causerie s'est finalement déroulée là. Parce qu'entre-temps, madame la députée était en train de faire la cuisine.

Bonne arrivée Madame la députée !

Ce n'est pas parce que j'ai été élue que je suis venue en Côte d'Ivoire. Je suis là chaque année parce que j'ai une Ong, Salubrité Plus. Je viens pour l'évaluation, pour faire un compte rendu des actions menées et établir un nouveau programme. Notre siège se trouve à Adjamé au quartier Habitat-Extension. C'est là que nos activités sont concentrées. Nous brûlons d'envie de connaître son histoire mais elle trop lancée dans son affaire d'environnement. Véritable passion. Assainir le cadre de vie est fondamental. Quand je vois des saletés, mon coeur saigne. Ce n'est pas facile de supporter tout cela. J'ai monté mon Ong depuis 2001. Les problèmes environnementaux me tiennent beaucoup à coeur. Cela fait un bon moment que nous sensibilisons. Maintenant, nous sommes dans l'éducation environnementale.

Ça avance ?

On fait tout ce qu'on peut pour faire avancer les choses un tout petit peu. Il y a des organisations qu'on peut toucher en Suisse et qui peuvent donner quelque chose pour faire avancer la cause en Côte d'Ivoire. Pour cela, on prend notre temps pour monter des dossiers de plusieurs pages avec toutes les exigences qu'ils demandent. On n'est pas payé, on le fait parce qu'on aime le pays.

Madame la députée, l'interview porte sur votre parcours...

Oui, vous me l'aviez signifié au téléphone, mais les problèmes environnementaux, c'est essentiel. Et mon Ong veut vraiment s'y attaquer. Si vous pouvez être un peu attentifs...

Parlez-nous de votre Ong.

L'Ong s'appelle Salubrité Plus ; nous luttons contre l'insalubrité en côte d'Ivoire. Concrètement, nous faisons beaucoup de sensibilisation, on nettoie des caniveaux, on pose des poubelles et on plante des arbres. Depuis que nous avons construit une maison du quartier Habitat à Adjamé qui sert de siège, les populations nous accordent plus d'attention. Elles sont plus sensibles à nos messages et donc à leur l'environnement. On a recruté des jeunes et des femmes qui passent de cour en cour pour la sensibilisation, l'éducation environnementale. On a aussi constaté qu'au niveau des enfants, il y a souvent des carences alimentaires. On a ainsi initié un atelier de cuisine pour sensibiliser les mamans à cuisiner équilibré pour la santé de leur famille. Le problème de l'insalubrité et de l'environnement, c'est sur un long terme. Il faut donc faire beaucoup de sensibilisation et être patient parce qu'on ne peut pas, du jour au lendemain, avoir une ville hyper propre comme en Suisse.

Vous en parlez avec beaucoup de passion

Bien sûr ! Quand c'est vert et propre, c'est beau. L'arbre, c'est l'oxygène, c'est la vie. Vous travaillez spécifiquement sur Adjamé Pour le moment oui, mais pas dans les 19 quartiers d'Adjamé. Nous avons commencé dans cette commune parce qu'Adjamé, c'est comme mon village.

Où avez-vous fait vos études ?

J'ai commencé à Adjamé puis à Yopougon dans un collège privé. Après la classe de 3e, j'ai fait une formation en sanitaire et social puis j'ai fait un apprentissage dans une infirmerie avant de travailler dans un cabinet médical comme aide-infirmière pendant trois ans. Après, j'ai rencontré mon mari et nous sommes partis en Suisse.



Vous quittez Adjamé pour être députée en Suisse ?

Non ! Je suis arrivée en Suisse en 1998, J'avais 28 ans. Mon fiancé de l'époque, devenu mon mari, est Suisse. Je l'ai suivi, c'est tout. Je n'avais pas de projet politique. Je ne pouvais même pas en avoir.

Et pourtant...

A cette époque, cette ambition ne pouvait pas effleurer mon esprit. Il fallait régler les problèmes d'intégration. Ce n'est pas facile pour un Africain en Europe. Quand on arrive, on est dépaysé. On est dans une prison de confort. Un changement de comportement (la chaleur humaine ; le style vestimentaire ; le langage). Les Suisses sont très gentils, mais quand ils ne savent pas qui tu es, il est difficile pour eux de s'ouvrir.



Comment dans ce monde hermétique, peut-on réussir à se faire admettre et se faire aimer ensuite ?

C'est un parcours du combattant ; quand tu arrives et que tu as tous tes diplômes, on te dit qu'on ne reconnaît pas ton CV parce que ce n'est pas le même programme. Donc, tu reprends à zéro ou tu trouves des équivalences. Imaginez une personne comme moi qui n'avait pas fait le plein de diplômes au pays... Pour t'intégrer sur le plan professionnel, tu dois reprendre les études. Avec le diplôme que j'ai obtenu plus tard, j'ai fait des postulations dans des homes (maisons de personnes âgées), à l'hôpital puis dans des structures de soins à domicile. Je me suis même inscrite à la Croix- Rouge pour le bénévolat. J'ai finalement opté pour les soins à domicile. C'est quelque chose qui répondait à mes valeurs ; j'ai fait des formations dans ce sens. C'est ainsi que, de manière professionnelle, j'ai pu m'intégrer. Par ce travail, j'ai pu connaître la ville, parce que je vais de maison en maison. Cela m'a aussi permis de connaître le Suisse car, je vais dans son intimité, je vais notamment le laver, lui donner ses médicaments. Au départ, il ne s'ouvre pas. Mais pour le mettre en confiance, il faut être soi-même assez calme, assez doux, attentionné et faire ton travail correctement. Au fur et à mesure qu'il le remarque, petit à petit, il commence à s'ouvrir.



L'intégration a commencé par-là ?


Une fois que tu travailles, c'est un bon point d'intégration et le reste suit. Mon mari est Suisse, cela m'a beaucoup aidé, cela m'a surtout permis de savoir ce que les Suisses aiment ou n'aiment pas. Mon mari m'a aidé à m'intégrer. Il m'a appris beaucoup de choses. J'ai commencé à vivre dès lors comme une Suissesse. A aimer ce qu'ils aiment. Par exemple, la marche. En Suisse, ils font beaucoup de marche. Des sentiers sont bien délimités et aménagés pour la marche. J'y allais régulièrement avec mon mari et d'autres habitants. Marcher en pleine forêt pour l'Ivoirienne pur-sang, ce n'est rien d'extraordinaire. La tradition, là-bas, c'est aussi aller cueillir des champignons en pleine brousse. Ça aussi, c'est chose aisée pour moi. Je le faisais naturellement et mon entourage appréciait beaucoup.



A quel moment vous avez franchi le portail politique ?

En réalité, je n'ai pas particulièrement décidé de faire de la politique. Je ne me voyais même pas comme leader suisse, mais comme Ivoirienne. A preuve, quand je suis arrivée, je me suis renseignée sur l'association des Ivoiriens de Suisse. Elle ne fonctionnait plus. L'idée était de la mettre à jour. J'ai contacté deux autres personnes, nous sommes allés voir le président et nous lui avons dit que nous voulions redynamiser l'association. C'est ainsi que cela été remis sur pied. On a fait des fêtes, on a appris à se connaître, on a même ouvert un centre culturel ivoirien dans ma ville. Au niveau africain, j'ai créé une association qui s'appelle Coeur d'Afrique. On a fait beaucoup de projets d'intégration entre les Suisses et les communautés africaines. J'estime que quand je suis dans un pays, je dois m'intéresser à la vie des gens. Je ne dois pas chercher que l'argent. Je me suis donc intéressée au quotidien du Suisse. A la vie communautaire des habitants du quartier, de la ville, du canton. J'étais dans tout ce qui avait un caractère social. Lorsqu'il y a une fête ou une réunion, je m'y rends.

Du social à la politique, comment c'est possible ?


Moi-même je ne m'y attendais pas. La politique m'intéressait peu, mais lorsqu'il y a les élections, j'essaie de lire les programmes des différents partis politiques et je vote pour le parti dont le programme de société est le plus proche de mes valeurs. C'était tout mon rapport avec la politique. Jusqu'au jour où je me suis inscrite au parti socialiste.

Un jour, l'électrice est devenue candidate...

Est-ce ainsi qu'il faut dire les choses ?

Non. Un jour, les représentants du parti socialiste m'ont demandé d'être leur candidate. Je leur ai demandé ce que cela signifiait, surtout pour une novice comme moi. Ils m'ont dit qu'ils m'ont beaucoup observé et que la population apprécie mon engagement pour les choses qui concernent la vie communautaire. Et que la politique, c'était cela. A la première tentative, j'ai été élue. Il faut à présent qu'on travaille. Il faut que l'Africaine que je suis apporte ses idées. Ça va chauffer sur moi (rires).

Avec quel score avez-vous gagné ?

J'ai été élue avec 2078 voix de plus que mes adversaires. Soit plus de 60 pour cent pour un mandat de quatre ans. J'ai des idées donc dès que je rentre, je vais les proposer à mon parti, puis on verra dans quelle mesure cela est faisable. Parce que dans notre canton, le gouvernement dit qu'on n'a pas assez de moyens, il faut faire de petits projets proches de la population. Des projets simples, peu coûteux, mais efficaces.

Comptez-vous aller à l'échelle régionale ?

On verra. Pour l'instant, je suis au niveau communal, les élections au niveau cantonal se tiendront l'an prochain. Déjà, on m'a demandé de représenter mon parti. J'ai dit aux représentants du parti que j'allais à Abidjan, j'allais réfléchis puis à mon retour, donner une réponse. Les postes de député, il y en a à tous les niveaux en Suisse (communal cantonal et fédéral). Je n'ai encore rien dit parce que j'aime ma ville. Cela me dérange un peu d'aller au niveau cantonal.

Qu'est-ce qui vous tient le plus à coeur ?

L'environnement. Je veux que chacun essaie de faire un peu plus à ce niveau. Soutenir aussi les Ong sérieuses qui veulent faire des choses concrètes. Que la population également s'implique vraiment dans son environnement. C'est très important sinon on ne fera que respirer les odeurs des gaz d'échappement des voitures et au bout de 10 ans, on sera mort. Si on pense vraiment au bien-être de la population, il y a des choses à faire au niveau de la salubrité.

Quel est votre choix entre le social et l'environnement ?

Les deux vont de pair. Le bien-être de la population et le développement de la ville sont indissociables.


source : Fratmat.info    |    auteur : Bledson Mathieu Collaboration, Fatou Diallo

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