Assassinat de Sankara : reportage sur les lieux du crime, dans la cité interdite du Conseil de l'Entente

  • publiè le : 2017-10-14 11:14:52
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Assassinat de Sankara : reportage sur les lieux du crime, dans la cité interdite du Conseil de l'Entente

(Photo d'archives pour illustrer l'article)

Pendantdes années, les Ouagalais sont passés devant cette cité close sans savoir cequi se cachait derrière ses murs. Passé le portail brinquebalant, une petiteroute en terre s'enfonce au milieu d'une espèce de terrain vague. Sur lebas-côté, quelques vieux blindés rouillés aux pneus crevés résistent comme ilspeuvent à la végétation envahissante. Les seules âmes qui vivent dans ce décorfigé sont une poignée de policiers qui font passer le temps en préparant du thésous un flamboyant. Ils sont là jour et nuit, à monter la garde devant unbâtiment blanc parsemé de briques ocre.
Il y atrente ans, le 15 octobre 1987, aux environs de 16 heures, c'est iciqu'un commando d'hommes armés a fait irruption pour cribler de balles ThomasSankara et douze de ses compagnons. De ce drame encore non élucidé il ne resterien, sauf l'interdiction formelle %u2013 pour les besoins de l'enquêtetoujours en cours %u2013 d'entrer dans cette villa délabrée.
Le lieu du crime, une « no-go zone »
Sous lerégime de Blaise Compaoré, c'était l'ensemble du domaine du Conseil del'entente, ancien centre névralgique de la révolution sankariste, qui étaitinterdit d'accès. Le successeur de Sankara (le tombeur pour certains) l'avaitsanctuarisé pour éviter que des regards curieux ne se posent sur la scène ducrime qui lui a permis d'accéder au pouvoir. Seuls des militaires et desdignitaires autorisés pouvaient entrer dans ce petit parc au coeur deOuagadougou. Certains y avaient même une maison, comme le généralGilbert Diendéré, ex-chef d'état-major particulier de Compaoré.
Après lachute de ce dernier, le 31 octobre 2014, cette « no-go zone »a continué de garder ses secrets, surveillée par des éléments du régiment desécurité présidentielle (RSP), la puissante garde prétorienne de Compaoré. Ilfaudra attendre son démantèlement après son putsch manqué, enseptembre 2015, pour que le Conseil de l'entente redevienne enfinaccessible.
L'idée est deconstruire un ensemble moderne pour promouvoir l'héritage et les idées deThomas Sankara
Si l'accèsà l'intérieur du bâtiment reste toujours impossible, plusieurs militants etacteurs de la société civile ont réfléchi à l'exploitation et à la mise envaleur de ce site historique. En 2016, ils ont donc formé le Comitéinternational du mémorial Thomas-Sankara (CIM-TS), qui se mobilise pour yconstruire un mémorial dédié au président assassiné et à la révolutionburkinabè.
Dirigé parle colonel BernardSanou, vieux camarade du capitaine au béret rouge, il est parrainépar l'ancien président ghanéen et ex-ami personnel de Sankara, Jerry JohnRawlings. « Le mémorial devrait comporter un mausolée dédié aux victimesdu 15 octobre 1987, un musée, un espace culturel, une salle multimédia... énumèreLuc Damiba, chercheur et secrétaire général du comité. L'idée est de construireun ensemble moderne pour promouvoir l'héritage et les idées de ThomasSankara. » Coût de ce complexe flambant neuf%u2009? Environ 5 milliards deF CFA (7,5 millions d'euros). Le comité dispose du soutien techniqueet financier du gouvernement, en particulier du ministère de la Culture, maiscompte surtout sur l'effort collectif pour concrétiser son ambitieux projet.
Un grand appel aux dons
Le2 octobre, il a donc lancé une vaste campagne de souscription populaire austade municipal de Ouagadougou, en présence du président Roch Marc ChristianKaboré. Dons en liquide, virements bancaires, transferts de fonds partéléphone, campagnes de crowdfunding sur internet... tous les moyens sontdéployés pour récolter un maximum d'argent au Burkina, mais aussi à l'étranger.
« Nousvoulons faire comme Sankara, qui demandait l'effort de tous pour réalisercertains projets, explique le colonel Bernard Sanou. Cela peut aller vite%u2009: si10 millions de Burkinabè donnent chacun 100 F CFA, nous auronsdéjà récolté 1 milliard. » En parallèle, le 16 octobre, aulendemain du trentième anniversaire de l'assassinat de Sankara, sera lancé unconcours architectural international pour sélectionner les futurs bâtisseurs dumémorial.
Sur place,les travaux ont commencé. Près du bâtiment central du Conseil de l'entente, quiaccueillait les chefs d'État membres de cette organisation régionale (Côted'Ivoire, Burkina Faso, Niger, Bénin, Togo) lorsqu'ils se réunissaient àOuagadougou, la villa Togo est en pleine réfection. Située à quelques dizainesde mètres de l'endroit où « Thom' Sank' » a été tué, celle-ci a étéinvestie après le 15 octobre 1987 par François Compaoré, le frère cadet deBlaise, qui y avait installé ses bureaux. Aujourd'hui, une dizaine d'ouvrierss'y activent, au milieu des décombres et de vieilles affiches de Blaise. Lecomité devrait y installer son QG pour suivre au plus près les travaux. Nul nesait quand ceux-ci finiront.
« Tout laisse àpenser que leurs corps ont bien été enfouis à Dagnoën, mais tant que nous n'enavons pas la certitude, aucune piste ne peut être écartée », explique unesource proche de l'enquête
Fin juin,le CIM-TS a annoncé que des tombesavaient été découvertes à l'extrémité sud du site lors de relevéstopographiques. De quoi relancer les interrogations sur le lieu de sépulture del'ex-président et de ses compagnons après l'échec des différentes expertisesADN sur leurs corps présumés, exhumés en 2015 du cimetière de Dagnoën, à l'estde Ouagadougou, où ils sont supposés avoir été enterrés après leur assassinat.« Tout laisse à penser que leurs corps ont bien été enfouis à Dagnoën,mais tant que nous n'en avons pas la certitude, aucune piste ne peut êtreécartée », explique une source proche de l'enquête.
La justicemilitaire s'est donc rapidement intéressée à cette découverte. FrançoisYaméogo, le juge d'instruction chargé du dossier, s'est rendu sur place et aentendu le colonel Bernard Sanou à ce sujet. De leur côté, les responsables dumémorial espèrent que des investigations poussées seront rapidement menées surces tombes afin de dissiper tout soupçon avant la pose de la première pierre.Ils pourront ensuite se concentrer sur l'essentiel%u2009: réhabiliter leConseil de l'entente pour en faire un site consacré à la mémoire de Sankara.
source : Jeune Afrique    |    auteur : Benjamin Roger - Envoyé spécial à Ouagadougou

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