Comment faire l'éloge d'un autocrate dans un meeting du Gambien Yahya Jamme.

  • publiè le : 2016-11-30 04:57:09
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Comment faire l'éloge d'un autocrate dans un meeting du Gambien Yahya Jamme.

(Photo d'archives pour illustrer l'article)

« Yahya ! Yahya, par laforce ! » Sous les hourras de milliers deses militants, le président-candidat Yahya Jammeh est arrivé en soulevantfoules et poussière dans l'école primaire de Bakau, en banlieue de la capitaleBanjul. Debout à travers le toit de son Hummer limousine blindé noir, il étaiten boubou immaculé dans un océan de militants verts, la couleur du partiprésidentiel, l'APRC. Pendant un meeting fleuve de plus de cinq heures, lundi28 novembre, le fantasque président de Gambie a asséné l'une de ses dernièresdémonstrations de force avant l'élection présidentielle du 1er décembre.
Des heures avant le début dumeeting, le sourireétait déjà sur toutes les lèvres, et le visage du président sur tous lesvêtements. « J'ai le même tee-shirt depuis 1994, avance DulloJallow, 73 ans, qui arbore fièrement le portrait du président sur sa poitrine.Je viens à tous ses meetings depuis qu'il a renversé Jawara, je dois rendreà Jammeh tout ce qu'il a fait pour nous depuis qu'il est là. »
Petits sacs de riz
« Jammeh a construit des écoles,Jammeh a construit des routes, Jammeh a construit des universités », embraie Ali, 87 ans, qui est arrivé avec les vieux sages deson village tôt ce matin pour êtresûr de ne rien manquerdu spectacle. De fait, il est au premier rang, il verra Jammeh de près et n'apas besoin de se pencherpour attraperles tee-shirts distribués. C'est un haut fonctionnaire de la Commissionélectorale indépendante (CEI),chargée d'organiser le scrutin de jeudi, qui s'occupe de la distribution,casquette du parti vissée sur la tête.
« J'AIREGARDÉ VOTRE PRIMAIRE EN FRANCE,ÇA SEMBLAIT AUSTÈRE COMPARÉ À CHEZ NOUS ! » UN MILITANT, APRÈS LAPRESTATION MAGIQUE DES FÉTICHEURS DU PRÉSIDENT
Quand ils'agit du président Jammeh, tout l'appareil étatique met la main à la pâte. Unsoldat offre des écharpes vertes, alors qu'un homme désigné par plusieurs commeagent des services de renseignement donne des affiches à l'effigie duprésident. Entre les griots du président aux bruits incessants de canabasses etles féticheurs qui, forts de gris-gris mystiques, s'entaillent au poignard lalangue et le torse sans que la lame ne fasse coulerle sang, l'ambiance est à la fête. « J'ai regardé votre primaire enFrance à la télévision, ça semblait austère comparé à chez nous ! »,s'amuse un militant, qui repart en criant le prénom du président.
C'est luique tous sont venus voir,lui que tous rêvent de toucher.« Bon, c'est raté pour aujourd'hui, il ne s'est pas arrêté pour me serrerla main, mais je l'ai vu à moins de deux mètres, je suis heureuse »,lâche une militante.
« Vingt-deuxans, nous en voulons plus ! » ou encore « Jammeh forever », pouvait-on entendre.Un certain Dullo ne voit pas le problème de cette longévité : « Notrepays a besoin de stabilité, on est beaucoup à vouloirqu'il reste au pouvoir,et pas seulement à cette élection, mais la prochaine aussi ! »
Lorsque lescadres de la société civile locale suivis de ministres défilent au micro, lescompliments ne tarissent pas. Jammeh, assis dans un large canapé %u2013 vert, luiaussi %u2013 observe sans grande attention, alors que sa ministre de l'éducation, lasoixantaine, s'est mise à genoux pour lui soufflerun mot. Devant eux, toute l'assistance a les bras levés, pour recevoirde petits sacs de riz distribués par des soldats.
Un surplusde dithyrambe parviendra quelques minutes plus tard à sortirYahya Jammeh de sa distraction et à lui arracherun sourire. Le représentant de la diaspora gambienne lance comme un défi à lafoule de pouvoir déclamerun adjectif qualifiant le président pour chaque lettre de l'alphabet. Sous lesencouragements, la litanie commence : « visionnaire, futuriste,démocrate », tout y passe, avant qu'un autre orateur ne s'en prenne aucandidat de l'opposition, Adama Barrow, copieusement hué, qui fait meeting aumême moment dans un autre endroit de la capitale.
« Menteurs »et réseaux sociaux
La nuittombe à Bakau, les projecteurs s'allument. La garde présidentielle rôde entreles spectateurs qui s'assoient peu à peu pour écouter« le roi », comme on l'appelle ici. Cette troupe d'élite adéjoué plusieurs tentatives de coups d'Etat qui ont, au fil des années, rendule pouvoir paranoïaque. Ces derniers temps, plusieurs sympathisants del'opposition ont disparu et des personnalitésdu régime ont été arrêtées en raison de désaccord avec le président, comme levice-ministre des affairesétrangères, détenu au secret depuis le 2 septembre. Lors de ladernière présidentielle en 2011, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) avait refuséd'envoyer des observateurs en raison « d'intimidations, de contrôleinacceptable des médiasélectroniques par le parti au pouvoir, d'absence de neutralité des institutionspubliques ».
Enfin,Jammeh prend la parole. Il est 21 heures. « Ceux qui mentent n'ontqu'à continuerà mentir,mais nous verrons bien en février, à la fête de l'indépendance, combienseront-ils à y assister », lance-t-il, menaçant, à l'adresse del'opposition, ajoutant aussitôt : « On verra même si certains parmi euxassisteront au vote de ce jeudi. »
Avant de repartirdans la nuit gambienne vers un autre meeting, Jammeh s'en est aussi pris aux réseaux sociaux : « SurFacebook, les femmes montrent leur corps et trouvent un mari. Ce n'est pas bienet nous allons couperFacebook, car chacune doitavoirle mari que Dieu lui a choisi. » Mais Yahya Jammeh l'a peut-êtreoublié : cela fait déjà plusieurs mois que WhatsApp et Facebook ne sontplus accessibles en Gambie.

source : Amaury Hauchard et Amadou    |    auteur : Le Monde

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