Faut-il désespérer de la Côte d'Ivoire ? Analyse d'une démocratie à l'épreuve

  • publiè le : 2025-04-23 05:25:55
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Faut-il désespérer de la Côte d'Ivoire ? Analyse d'une démocratie à l'épreuve
Introduction

Alors que le Ghana voisin vient une nouvelle fois de démontrer sa maturité démocratique avec une transition politique apaisée, la Côte d'Ivoire s'enfonce dans une crise politique aux relents de confiscation du pouvoir. L'exclusion de l'opposant Tidjane Thiam, ancien patron du Crédit Suisse et figure de proue d'une opposition réformiste, par une décision de justice controversée, ravive les inquiétudes sur l'état de la démocratie ivoirienne. Dans cet article, nous proposons une analyse approfondie de cette décision, de ses implications politiques, de son contexte historique, juridique, économique et institutionnel, ainsi que de ses conséquences potentielles sur la stabilité du pays et la confiance des citoyens.

I. Contexte politique et historique

Depuis l'indépendance en 1960, la Côte d'Ivoire a connu une stabilité relative sous Félix Houphouët-Boigny, mais au prix d'un parti unique dominant. L'ouverture démocratique des années 1990 a été suivie de crises successives : coups d'État, guerre civile, élections contestées. Depuis la fin de la crise postélectorale de 2010-2011, le pays peine à retrouver une réelle réconciliation nationale. L'arrivée au pouvoir d'Alassane Ouattara en 2011 avait suscité l'espoir d'une nouvelle ère, mais la reconduction de son mandat controversé en 2020 a renforcé les soupçons d'un pouvoir de plus en plus autoritaire, marqué par l'exclusion politique des adversaires et une centralisation du pouvoir exécutif.

II. La décision de justice contre Tidjane Thiam : une manoeuvre politique ?

La radiation de Tidjane Thiam de la liste électorale repose sur une contestation de sa nationalité ivoirienne. Bien que Thiam soit issu d'une illustre famille ivoirienne et qu'il ait exercé des fonctions de ministre sous Henri Konan Bédié, la justice a estimé qu'il ne remplissait pas les conditions de nationalité requises. Cette décision, juridiquement discutable, soulève plusieurs interrogations :

1. Pourquoi cette décision intervient-elle maintenant, à l'approche de l'élection présidentielle ?
2. Pourquoi viser spécifiquement un candidat disposant d'un capital de crédibilité à l'international et d'une popularité croissante ?
3. La justice est-elle instrumentalisée à des fins politiques ?

Sur le plan juridique, cette décision interpelle sur l'interprétation des articles du Code électoral et du Code de la nationalité. La radiation de Thiam pourrait être analysée comme une entorse à la jurisprudence ivoirienne, notamment sur la présomption de nationalité et les droits acquis par le service rendu à l'État. Elle montre également une dérive inquiétante : le recours aux institutions judiciaires comme armes de neutralisation politique.

III. L'État de droit en question

L'affaire Thiam vient s'ajouter à une série d'évictions ou d'intimidations visant des opposants politiques : Guillaume Soro, Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, tous ont été empêchés, de manière directe ou indirecte, de jouer un rôle politique actif. Cela donne l'image d'un système verrouillé, où le pluralisme est plus apparent que réel. L'indépendance de la justice, garante de l'État de droit, est ainsi de plus en plus remise en cause.

Les institutions de contre-pouvoir (Conseil Constitutionnel, Commission Électorale Indépendante, Cour des comptes) peinent à remplir leur rôle de manière impartiale. Leur composition, souvent contestée, favorise un déséquilibre institutionnel au profit de l'exécutif. L'absence d'alternance renforce ce climat de défiance généralisée.

IV. Conséquences économiques : une démocratie fragilisée, une économie vulnérable

Sur le plan économique, l'instabilité politique chronique freine les investissements directs étrangers. La Côte d'Ivoire affiche certes des taux de croissance élevés, mais ceux-ci masquent des fragilités structurelles : inégalités régionales, chômage massif des jeunes, dépendance à l'exportation de matières premières (cacao, café, anacarde). Le climat des affaires pâtit des incertitudes politiques, de la corruption, et du manque de transparence institutionnelle.

L'exclusion de candidats crédibles comme Tidjane Thiam, qui jouit d'un fort réseau international et d'une réputation d'excellence en gestion économique, prive le pays de propositions nouvelles et de crédibilité auprès des bailleurs de fonds. À terme, cela affaiblit la compétitivité économique du pays et compromet les ambitions d'émergence à l'horizon 2030.

V. Comparaison avec le Ghana : une leçon de démocratie

Le contraste est frappant. Au Ghana, John Dramani Mahama, ancien président battu en 2016, est revenu par les urnes à la tête du pays. Ce retour pacifique d'un opposant montre la robustesse des institutions ghanéennes, la neutralité de l'appareil judiciaire et l'acceptation des règles démocratiques par les différents acteurs politiques. Le Ghana confirme ainsi qu'une alternance politique est possible en Afrique de l'Ouest sans effusion de sang ni crise de légitimité.

Le Ghana a su institutionnaliser l'alternance, renforcer ses institutions et garantir une vraie liberté de la presse. Ce modèle démocratique permet non seulement de prévenir les crises, mais aussi de créer un environnement économique stable et attractif pour les investisseurs.

VI. Quelles conséquences pour la Côte d'Ivoire ?

À court terme, cette décision pourrait exacerber les frustrations et raviver la méfiance d'une partie importante de la population envers les institutions. Le risque de violences électorales n'est pas à exclure, surtout si les voix dissidentes sont muselées. Sur le plan international, la crédibilité du pays pourrait en pâtir, affectant les investissements et les partenariats diplomatiques.

À long terme, l'exclusion systématique des opposants compromet la possibilité d'une véritable alternance et pourrait instaurer une forme de présidence à vie déguisée. Cela risque également de creuser davantage le fossé entre les élites politiques et une jeunesse en quête de changement et de justice sociale.

L'absence de dialogue politique sincère et inclusif pourrait aussi compromettre les efforts de réconciliation nationale, relancer des tensions identitaires et compromettre la cohésion sociale.

VII. Faut-il désespérer ?

Malgré tout, il existe des raisons d'espérer. La société civile ivoirienne est de plus en plus active, les médias sociaux permettent une plus grande mobilisation, et la jeunesse ivoirienne, mieux informée, aspire à un avenir démocratique. L'exemple ghanéen montre qu'une autre voie est possible, même en Afrique de l'Ouest. Le défi, pour la Côte d'Ivoire, est d'accepter la diversité politique comme une richesse et non comme une menace.

Il importe aussi que la diaspora, les partenaires internationaux et les leaders d'opinion locaux continuent de faire pression pour un environnement politique inclusif, respectueux des droits humains et fondé sur l'État de droit.

Conclusion

L'exclusion de Tidjane Thiam n'est pas qu'un épisode judiciaire ; c'est un révélateur d'un mal plus profond : la tentation autoritaire dans une démocratie en construction. La Côte d'Ivoire est à la croisée des chemins. Elle peut soit s'enfoncer dans l'exclusion et la répression, soit choisir l'ouverture et le respect de la pluralité. Le peuple ivoirien mérite mieux qu'une démocratie de façade. Il mérite des institutions fortes, équitables, et une classe politique responsable.

Le choix appartient désormais à chacun : se résigner ou s'engager pour un changement véritable.
source : IVOIRTV.NET    |    auteur : NKS

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