CHRONIQUE - Micro fermé pour la presse locale, grandes révélations pour l'étranger. Nos journalistes relèvent les discours, jamais les secrets. Mépris assumé, silence politique organisé.
En Côte d'Ivoire, il faut croire que les micros des journalistes locaux sont frappés de malédiction. Dès qu'ils s'approchent d'un grand nom de la politique, hop ! silence radio. Mais curieusement, dès qu'un micro orné du logo France 24, RFI, TV5 Monde ou Jeune Afrique apparaît, nos leaders retrouvent la voix... et quelle éloquence !
Ouattara, Gbagbo, Thiam... exclusivité réservée à Paris
Laurent Gbagbo, pourtant rentré au pays depuis trois ans, n'a pas jugé utile d'accorder une vraie interview à un média ivoirien. Pas même à Le Temps, La Voie Originale, le Quotidien d'Abidjan... Mais qu'un journaliste venu pour ses rares confidences de Paris ou Bruxelles tende un micro, et le voilà soudain volubile, prêt à refaire l'histoire à coup de grandes déclarations.
Le président Ouattara, lui, a beau avoir toute une armée de communicants, choisit France 24 ou Jeune Afrique pour ses sorties importantes. RTI, NCI, 7info, le quotidien d'État Fraternité Matin, Le Patriote, L'Intelligent d'Abidjan, L'Expression, RHDP News... ? C'est bon pour les discours d'usage, les communiqués bien lissés ou les conférences chronométrées où aucune question gênante ne doit filtrer.
Et puis il y a le petit dernier, Tidjane Thiam, qui semble avoir contracté la même allergie aux médias nationaux quand il s'agit d'accorder une interview exclusive. Pour sa renaissance politique, c'est Le Monde qui a eu l'exclusivité, comme TV5 Monde quand il s'est agi de répondre à la polémique sur sa double nationalité. Le nouveau Réveil, Le Bélier Intrépide, Dernière heure monde...%u202F? Ils peuvent toujours faire un papier d'analyse. Ou commenter... l'interview dont ils auraient pu être les auteurs.
Faut-il rebaptiser nos rédactions ?
Pourquoi ce mépris ? Faut-il y voir un manque de confiance en la presse locale ? Ou une stratégie de contrôle narratif visant un public international avant tout ? Mais enfin, messieurs, vous êtes candidats ici, pas à Paris ou Genève ! À moins que les électeurs ivoiriens aient subitement déménagé à Montparnasse ?
C'est à se demander si le passeport diplomatique donne aussi droit à un mépris médiatique. Pourtant, la presse ivoirienne n'est pas en reste : des rédactions dynamiques, des journalistes compétents, des formats modernes. On est loin du cliché du reporter amateur avec son enregistreur rafistolé. Mais non, visiblement, on n'est pas assez "bankable" pour mériter une interview exclusive.
Alors que les journalistes locaux croulent sous les communiqués sans âme, nos hommes politiques vont confier leur "vérité" à des confrères étrangers... qui ne voteront même pas à la prochaine présidentielle. (Sans rancune)
Peut-être qu'on devrait rebaptiser nos rédactions : RTI International, Frat'Hebdo Monde, ou Soir Info Afrique. Qui sait, ça déclencherait peut-être une envie d'interview ?
En démocratie, la relation entre les hommes politiques et les médias nationaux ne devrait pas être une faveur, mais un devoir. C'est dans cette proximité que s'ancre la transparence, et que se construit la confiance populaire.
Le journalisme ne peut pas être réduit à un rôle de relais. Il doit être acteur du débat. Si nos leaders politiques veulent vraiment parler au peuple ivoirien, qu'ils commencent par nous parler - ici, chez nous.
source : linfodrome.com